CHAPITRE 2 – 2EME PARTIE : REVEIL DIFFICILE
Berlin, le 13 Octobre 2006 – 22:30
La soirée bat son plein. Comme à l’accoutumée, je continue de me laisser bercer par cette boucle temporelle alcoolisée. Heureusement que mes amis n’entendent pas toutes mes cogitations internes. Ils en auraient le tourni. C’est peu de le dire. Ce soir, je me sens bizarrement moins passif et surtout moins végétatif qu’à l’accoutumée. La faute à Haruka? Cette nouvelle convive à l’air de s’être bien intégrée parmi nous. Pour une Japonaise ne parlant que très peu l’allemand, c’est remarquable. Elle a moins de facultés que Kayla pour suivre nos tribulations nocturnes, mais ça ne l’empêche pas d’être très engagée dans nos conversations. Nous avons néanmoins quelque chose en commun tous les deux : la langue Japonaise.! Mon père est originaire de Rostock. Ma mère, quant-à-elle, vient d’ Asashikawa au nord d’Hokkaido. Je possède la double nationalité. J’ai toujours été élevé dans la pratique et le développement de ces deux cultures. Si l’on considère le fait que j’apprends le français depuis dix ans, tout comme l’anglais, cela fait de moi un quadrilingue. En effet, en ajoutant mes deux langues maternelles, ça fait quatre! Oups, mes pensées ont dépassé les frontières de mon esprit. Je sens que mes compères me regardent avec curiosité, se demandant bien pourquoi je pense à haute voix. Il est vrai que j’ai l’air bizarre à fixer le plafond. Tout ça en ayant une main sur ma bière et l’autre dans le ramequin de cacahuètes.
« Alles ok ? » me demande Olivier, l’air soucieux.
– Ja. Mach dir keine sorgen ! lui répond-je pour le rassurer.
– ティモ さん! にほんご わかる ? Maintenant c’est la petite Haruka qui s’y met.
– はい わかる よ. lui dis-je nonchalamment entre deux gorgées de ma mixture.
– Tu parles vraiment très bien Japonais. Comment ça se fait ?
Il s’en suit trente minutes d’une longue discussion où je lui explique ma double nationalité, tout en étant regardé comme une bête curieuse. Elle ne s’attendait pas à me voir débiter quelques propos dans sa langue lors d’une banale soirée de beuverie Berlinoise. C’est la plus jeune de nous cinq. D’après ce que j’ai cru comprendre, elle a dix-sept ans. Elle fait sa dernière année de lycée à Berlin. Si jeune et déjà si responsable. Elle n’a pas pris une goutte d’alcool. En tant que Sempai, je dois peut-être éviter de montrer une mauvaise image de moi-même ce soir. Je me demande si ce n’est pas un coup d’ Annika et de Kayla . Peut-être pour créer un électrochoc et me responsabiliser devant la jeune Haruka. D’un autre côté, pourquoi m’avoir fait sortir de mon cocon pour sortir ce soir. C’est vrai, si l’alcool est mon addiction, pourquoi m’orienter vers ma kryptonite officielle?
Le temps passe. Je me surprend à écouter Haruka me raconter toute sa vie au Japon. Elle vient de Kagoshima, ville moyenne de l’ile de Kyushu. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle ne débarque pas de Tokyo, mais sa chaleur, sa joie de vivre et son excitation perpétuelle me font penser à Olivier… puissance dix-mille! Du coup, j’ai besoin de recharger les batteries en commandant un autre breuvage.
<<Olivier! Annika!>> vous voulez quelque chose ? leur demandé-je.
– Ist schon gemacht! me rétorque instantanément Olivier, l’air fier de brandir une coupe de mousseux dans sa main victorieuse.
– 大丈夫です, me répond Haruka.
-Et toi Kayl… ?
Où est-t-elle passée ?
– Elle revient ! me dit Annika. Enfin, c’est ce qu’elle a dit…
Ce n’est pas la première fois qu’elle nous fausse compagnie. Moi qui la trouvait déjà très mystérieuse, elle joue sa carte à fond.
Tout à coup, le gérant du café nous somme de baisser nos vocalises à mesure qu’il augmente le son de la télévision. Même avec le volume au maximum, j’ai du mal à percevoir ce qui l’a poussé à nous faire partager ce moment d’information. A priori, un déraillement de train sur la ligne de métro S-Bahn 2. Le wagon incriminé n’aurait fait miraculeusement ni victime, ni blessé grave. Jusque là, rien de notable. J’ai beau ne pas bien entendre de quoi il s’agit, mes yeux fonctionnent bien mieux. Cette aura violette? Mais, c’est exactement la même! C’est celle que j’ai vue lors de mon retour au bercail. On nage en plein délire. Il est temps que je baisse sensiblement ma consommation de houblon et autres spiritueux.